Nous arrivâmes enfin, le premier jour de djomâda premier (5 avril 1326), à la ville d’Alexandrie. (Que Dieu veille sur elle !) C’est une place frontière bien gardée et un canton très fréquenté ; un lieu dont la condition est merveilleuse et la construction fort solide. Tu y trouveras tout ce que tu désires, tant sous le rapport de la beauté que sous celui de la force, et les monuments consacrés aux usages mondains et aux exercices du culte. Ses demeures sont considérées et ses qualités sont agréables. Ses édifices réunissent la grandeur à la solidité. Alexandrie est un joyau dont l’éclat est manifeste, et une vierge qui brille avec ses ornements ; elle illumine l’Occident par sa splendeur ; elle réunit les beautés les plus diverses, à cause de sa situation entre l’Orient et le Couchant. Chaque merveille s’y montre à tous les yeux, et toutes les raretés y parviennent. On a déjà décrit Alexandrie de la manière la plus prolixe ; on a composé des ouvrages sur ses merveilles et l’on a excité l’admiration. Mais pour celui qui considère l’ensemble de ces objets, il suffit de ce qu’a consigné Abou Obaïd (Albecry), dans son ouvrage intitulé Al-méçâlic (les Chemins).
DES PORTES D’ALEXANDRIE, ET DE SON PORT.
Alexandrie possède quatre portes : la porte du Jujubier sauvage (assidrah), à laquelle aboutit le chemin du Moghreb ; la porte de Réchid (Rosette), la porte de la Mer et la porte Verte. Cette dernière ne s’ouvre que le vendredi ; c’est par là que les habitants sortent pour aller visiter les tombeaux. Alexandrie a un port magnifique ; je n’en ai pas vu de pareil dans le reste de l’univers, si l’on en excepte les ports de Coùlem et de Kâlikoûth (Calicut), dans l’Inde ; le port des infidèles (Génois) à Soùdâk, dans le pays des Turcs (Crimée), et le port de Quanzhou dans la Chine, lesquels seront décrits ci-après.
DESCRIPTION DU PHARE.
Dans ce voyage je visitai le phare, et je trouvai une de ses faces en ruines. C’est un édifice carré qui s’élance dans les airs. Sa porte est élevée au-dessus du niveau du sol, et vis-à-vis, il y a un édifice de pareille hauteur, qui sert à supporter des planches, sur lesquelles on passe pour arriver à la porte du phare. Lorsqu’on enlève ces planches, il n’y a plus moyen de parvenir à la porte du phare. En dedans de l’entrée, il y a un emplacement où se tient le gardien de l’édifice. À l’intérieur du phare se trouvent beaucoup d’appartements. La largeur du passage qui conduit dans l’intérieur est de neuf empans, et l’épaisseur du mur d’enceinte de dix empans. Le phare a cent quarante empans sur chacune de ses quatre faces. Il est situé sur une haute colline, à une parasange de la ville, et dans une langue de terre que la mer entoure de trois côtés, de sorte qu’elle vient baigner le mur de la ville. On ne peut donc gagner le phare du côté de la terre, qu’en partant de la ville. C’est dans cette langue de terre contiguë au phare, que se trouve le cimetière d’Alexandrie. Je me dirigeai une seconde fois vers le phare, lors de mon retour au Maghreb, en l’année 760 (1349), et je trouvai que sa ruine était complète, de sorte qu’on n’y pouvait plus entrer, ni monter jusqu’à la porte. Almélic annàcir avait entrepris de construire vis-à-vis un phare tout semblable, mais la mort l’empêcha de l’achever.
DESCRIPTION DE LA COLONNE DES PILIERS.
Parmi les merveilles d’Alexandrie, se trouve l’étonnante colonne de marbre que l’on voit à l’extérieur de la ville, et qui porte le nom de Colonne des piliers. Elle est située au milieu d’une forêt de palmiers, et on la distingue de tous ces arbres à son élévation prodigieuse. Elle est d’une seule pièce, artistement taillée, et on l’a dressée sur des assises en pierres carrées qui ressemblent à d’énormes estrades. On ne sait pas comment elle a été érigée en cet endroit, et on ne connaît pas d’une manière positive par qui elle a été élevée.
Ce qui suit appartient à Ibn Djozay : « Un de mes professeurs, qui avait beaucoup voyagé, m’a raconté qu’un archer d’Alexandrie monta un jour en haut de cette colonne, avec son arc et son carquois, et qu’il s’y tint tranquillement. Le bruit de cette ascension s’étant répandu, un grand concours de peuple se réunit pour le voir, et l’étonnement qu’il causa dura longtemps. Le public ignorait de quelle manière il s’était hissé au haut de la colonne. Quant à moi, je pense qu’il était poussé par la crainte ou mû par la nécessité. Quoi qu’il en soit, son action le fit parvenir à son but, grâce à l’étrangeté de ce qu’il accomplit. Voici de quel moyen il s’avisa pour monter sur la colonne : il lança une flèche à la pointe de laquelle il avait lié une longue ficelle, dont le bout était rattaché à une corde très solide. La flèche passa au-dessus de l’extrémité supérieure de la colonne, et, la traversant obliquement, elle retomba du côté opposé à l’archer. Lorsque la ficelle eut traversé obliquement le chapiteau de la colonne, l’archer la tira à lui jusqu’à ce que la corde passât par le milieu du chapiteau, en place de la ficelle. Alors il fixa la corde dans la terre, par une de ses extrémités, et s’attachant à elle, il grimpa par l’autre bout en haut de la colonne et s’y établit, puis il retira la corde et elle fut emportée par quelqu’un dont il s’était fait accompagner. Le public n’eut pas connaissance du moyen par lequel il avait réussi dans son ascension, et fut fort étonné de cette action. » Mais revenons au récit de notre voyageur.
L’émir d’Alexandrie, au moment où j’arrivai dans cette ville, était un nommé Salàh eddin. À la même époque se trouvait à Alexandrie le sultan déchu de l’Afrikiyah (Tunis), c’est-à-dire, Zacariâ Abou Yahia, fils d’Ahmed, fils d’Abou Hafs, connu sous le nom d’Allihiàny (le barbu). Almélic annâcir avait ordonné de le loger dans le palais royal d’Alexandrie, et lui avait assigné une pension de cent dirhems par jour. Zacarià avait près de lui ses enfants Abd Alouàhid, Misry et Iskendery ; son chambellan Abou Zacariâ, fils de Ya’koûb, et son vizir Abou Abd Allah, fils d’Yâcîn. Allibiàny mourut à Alexandrie, ainsi que son fils Aliskendéry, et Misry demeure encore dans cette même ville.
DE QUELQUES SAVANTS D’ALEXANDRIE.
Parmi eux, on peut citer le kadi de cette ville, Imâd eddîn Alkendy, un des maîtres dans l’art de l’éloquence. Il couvrait sa tête d’un turban qui dépassait par son volume tous les turbans jusqu’alors en usage. Je n’ai pas vu, soit dans l’Orient, soit dans l’Occident, un turban plus volumineux. J’aperçus un jour le kadi Imàd eddîn assis devant un mihrâb (chœur d’une mosquée), dont son turban remplissait presque tout l’espace. Parmi les savants d’Alexandrie, on remarquait encore Fakhr eddîn, fils d’Arrîghy, qui était aussi au nombre des kadis de cette ville. C’était un homme distingué et très savant.
ANECDOTE.
On raconte que l’aïeul du kadi Fakhr eddîn Arrîghy appartenait à la tribu de Rîghah, et qu’il s’adonna à l’étude. Dans la suite il partit pour le Hedjaz, et arriva un soir près d’Alexandrie. Comme il était dépourvu de ressources, il prit avec lui-même la résolution de ne pas entrer dans cette ville, avant d’avoir entendu quelque parole de bon augure. Il s’assit donc tout près de la porte. Cependant tous les habitants étaient rentrés successivement ; le temps de la fermeture des portes était arrivé, et il ne restait plus que lui dans cet endroit. Le concierge fut mécontent de sa lenteur, et lui dit, par manière de plaisanterie : « Entre donc, ô kadi ! – Kadi, s’il plaît à Dieu, se dit l’étranger. » Après quoi il entra dans une medréceh, s’appliqua à la lecture du Coran, et marcha sur les traces des hommes distingués. Sa réputation devint considérable et sa renommée se répandit. Il se fit connaître par sa piété et sa continence, et le bruit de ses vertus parvint jusqu’aux oreilles du roi d’Égypte. Sur ces entrefaites, le kadi d’Alexandrie vint à mourir. Il y avait alors en cette ville un grand nombre de fakîhs et de savants, qui tous ambitionnaient la place vacante. Arrîghy, seul entre tous, n’y songeait pas. Le sultan lui envoya l’investiture, c’est-à-dire le diplôme de kadi. Le courrier de la poste le lui ayant apporté, Arrîghy ordonna à son domestique de proclamer dans les rues de la ville que quiconque avait un procès eût à se présenter pour le lui soumettre. Quant à lui, il s’occupa sans retard de juger les contestations des habitants. Les gens de loi, etc. se réunirent chez un d’entre eux, qu’ils avaient regardé comme ne pouvant manquer d’obtenir la dignité de kadi. Ils parlèrent d’adresser à ce sujet une réclamation au sultan, et de lui dire que la population n’était pas satisfaite de son choix. Un astrologue, homme de beaucoup d’esprit, assistait à cette réunion ; il leur tint ce discours : « Gardez-vous de faire cela ; j’ai examiné avec soin l’astre sous lequel il a été nommé : il m’a été démontré par mes calculs que cet homme exercerait pendant quarante ans les fonctions de kadi. » En conséquence, les fakîhs renoncèrent à leur dessein de réclamer contre sa nomination. Ce qui arriva fut conforme à ce qu’avait découvert l’astrologue, et Arrîghy fut célèbre pendant tout le cours de sa magistrature par son équité et la pureté de ses mœurs.
Parmi les savants d’Alexandrie, on remarquait encore Ouédjih eddîn Assinhâdjy, un des kadis de celle ville, non moins connu par sa science que par sa vertu ; et Chems eddîn, fils de Bint attinnîcy, homme vertueux et bien connu. Parmi les religieux de cette ville, je citerai le cheikh Abou Abd Allah alfàcy, un des principaux saints. On raconte que, lorsque dans ses prières il prononçait les formules de salutation, il entendait une voix lui rendre le salut. Parmi les religieux d’Alexandrie, on distingue encore le savant, pieux, humble et chaste imâm Khalîfah, le contemplatif (proprement, l'extatique.)
MIRACLE DE CET IMAM.
Un de ses compagnons, de la véracité duquel on est sûr, m’a fait le récit suivant : « Le cheikh Khalîfah vit en songe le Prophète de Dieu, qui lui disait : « Rends-nous visite, ô Khalîfah. » Le cheikh partit aussitôt pour Médine et se rendit à l’illustre mosquée ; il y entra par la porte de la Paix, salua la mosquée et bénit le nom du Prophète ; après quoi il s’assit contre une des colonnes du temple, appuyant la tête sur ses genoux, posture qui est appelée par les soufis atterfik. Lorsqu’il releva la tête, il trouva quatre pains ronds, des vases remplis de lait et une assiette de dattes. Lui et ses compagnons en mangèrent, après quoi il s’en retourna à Alexandrie, sans faire cette année-là le pèlerinage. »
Je citerai encore, parmi les religieux d’Alexandrie, le savant imâm, le pieux, chaste et humble Borhân eddîn Ala’radj (le boiteux), qui était au nombre des hommes les plus dévots et des serviteurs de Dieu les plus illustres. Je le vis durant mon séjour à Alexandrie, et même j’ai reçu l’hospitalité chez lui pendant trois jours.
RÉCIT D’UN MIRACLE DE CET IMAM.
J’entrai un jour dans l’appartement où il se trouvait : « Je vois, me dit-il, que tu aimes à voyager et à parcourir les contrées étrangères. » Je lui répondis : « Certes, j’aime cela. » (Cependant à ce moment-là je n’avais pas encore songé à m’enfoncer dans les pays éloignés de l’Inde et de la Chine.) « Il faut absolument, reprit-il, s’il plait à Dieu, que tu visites mon frère Férîd eddin, dans l’Inde ; mon frère Rocn eddîn, fils de Zacarià, dans le Sind, et mon frère Borhàn eddin, en Chine. Lorsque tu les verras, donne-leur le salut de ma part. » Je fus étonné de ce discours, et le désir de me rendre dans ces pays fut jeté dans mon esprit. Je ne cessai de voyager, jusqu’à ce que je rencontrasse les trois personnages que Borhân eddîn m’avait nommés, et que je leur donnasse le salut de sa part. Lorsque je lui fis mes adieux, il me remit, comme frais de route, une somme d’argent que je gardai soigneusement ; je n’eus pas besoin dans la suite de la dépenser ; mais elle me fut enlevée sur mer, avec d’autres objets, par les idolâtres de l’Inde.
Enfin, je citerai le cheikh Yàkoût l’Abyssin, un des hommes les plus distingués et qui avait été disciple d’Abou’labbàs almursy, disciple lui-même de l’ami de Dieu Abou’lhaçan achchàdhily, ce célèbre personnage qui a été l’auteur de miracles illustres et qui est parvenu dans la vie contemplative à des degrés élevés.
MIRACLE D’ABOU’LHAÇAN ACHCHÀDHILY.
Le cheikh Yàkoût m’a fait le récit suivant, qu’il tenait de son cheikh AbouTabbàs almursy : « Abou’lhaçan faisait chaque année le pèlerinage ; il prenait son chemin par la haute Egypte, passait à la Mecque le mois de redjeb et les suivants, jusqu’à l'accomplissement des cérémonies du pèlerinage ; puis il visitait le tombeau de Mahomet et revenait dans son pays, en faisant le grand tour (par la route de terre, en traversant le Hedjaz, le désert, etc.) Une certaine année (ce fut la dernière fois qu’il se mit en route), il dit à son serviteur : « Prends une pioche, un panier, des aromates et tout ce qui sert à ensevelir les morts. – Pourquoi cela, ô mon maître ? » lui demanda son domestique. – « Tu le verras à Homaïthirà, » lui répondit Chàdhily, (Homaïthirâ est un endroit situé dans le Saïd (haute Egypte), au désert d’Aïdhàb. On y voit une source d’eau saumâtre, et il s’y trouve un grand nombre de hyènes). « Lorsqu’ils furent arrivés à Homaïthirà, le cheikh Abou’lhaçan fit ses ablutions et récita une prière de deux ric’ahs. À peine avait-il terminé sa dernière prosternation, que Dieu le rappela à lui. Il fut enseveli en cet endroit. » J’ai visité son tombeau, qui est recouvert d’une pierre sépulcrale, sur laquelle on lit son nom et sa généalogie, en remontant jusqu’à Haçan, fils d’Aly.
DES LITANIES DE LA MER, QUE L’ON ATTRIBUE À CHÀDHILY.
Comme nous l’avons vu plus haut, Chàdhily voyageait chaque année dans le Saïd et sur la mer de Djeddah (mer Rouge). Lorsqu’il se trouvait à bord d’un vaisseau, il récitait tous les jours la prière connue sous le nom de Litanies de la mer. Ses disciples suivent encore le même usage, une fois par jour. Les litanies de la mer sont ainsi conçues :
« Ô Dieu, ô être sublime, ô être magnifique, doux et savant, c’est toi qui es mon Seigneur ! Il me suffit de te connaître. Quel excellent maître est le mien, quel excellent lot est le mien ! Tu secours qui tu veux, tu es l’être illustre et clément. Nous implorons ta protection dans nos voyages, dans nos demeures, dans nos paroles, dans nos désirs et nos dangers ; contre les doutes, les opinions fausses et les erreurs qui empêcheraient nos cœurs de connaître tes mystères. Les musulmans ont été éprouvés par l’affliction et violemment ébranlés. Lorsque les hypocrites et ceux dont le cœur est malade diront : Dieu et son envoyé ne nous ont fait que de fausses promesses, affermis-nous, secours-nous et calme devant nous les flots de cette mer, comme tu l’as fait pour Moïse ; comme tu as assujetti les flammes à Abraham, comme tu as soumis les montagnes et le fer à David, les vents, les démons et les génies à Salomon. Calme devant nous chaque mer qui t’appartient sur la terre et dans le ciel, dans le monde sensible et dans le monde invisible, et la mer de cette vie et celle de l’autre vie. Assujettis-nous toutes choses, ô toi qui possèdes toutes choses. C. H. Y.’A. S. » (Ces lettres ou monogrammes commencent le chap. XIX du Coran, qui traite de la miséricorde de Dieu envers Zacharie, etc.) « Secours-nous, ô toi qui es le meilleur des défenseurs, et donne-nous la victoire, ô toi le meilleur des conquérants ; pardonne-nous, ô toi le meilleur de ceux qui pardonnent ; fais nous miséricorde, ô le meilleur des êtres miséricordieux ; accorde-nous notre pain quotidien, ô le meilleur de ceux qui distribuent le pain quotidien ! Dirige-nous et délivre-nous des hommes injustes. Accorde-nous des vents favorables, ainsi que le peut ta science ; tire-les pour nous des trésors de ta clémence, et soutiens-nous généreusement par leur moyen, en nous conservant sains et saufs dans notre foi, dans ce monde et dans l’autre ; car tu peux toutes choses. Ô mon Dieu ! Fais réussir nos affaires, en nous accordant le repos et la santé pour nos cœurs comme pour nos personnes, en ce qui touche nos intérêts religieux et nos intérêts mondains. Sois notre compagnon de voyage, et remplace-nous au sein de notre famille. Détruis les visages de nos ennemis et fais empirer leur condition ; qu’ils ne puissent nous échapper, ni marcher contre nous. Si nous voulons, certes, nous leur ôterions la vue ; ils se précipiteraient alors vers le Si ràth. » (Chemin, sentier ; et pont dressé au-dessus de l’enfer, suivant les musulmans, plus fin qu’un cheveu, etc.) « Mais comment le verraient-ils ? Si nous voulions, nous les ferions changer de forme ; ils ne pourraient ni passer outre ni revenir sur leurs pas. » (Coran, XXXVI, 66, 67.) Y. S. (Ces deux lettres commencent le ch. XXXVI.) « Leurs faces seront laides ;’A. M. et leurs visages seront baissés devant le vivant et l’immuable. Celui qui sera chargé d’injustices sera frustré. » (Coran, XX, 110.) TH. S. H. M.’A. S. K. (Les deux premières lettres commencent le ch. XXVII, et les deux suivantes les ch. XL à XLVI inclusivement ; les trois dernières se trouvent aussi après, en tête du ch. XLII.) « Il a fait couler séparément les deux mers qui se touchent. Entre elles s’élève une barrière, et elles ne la dépassent pas. » (Coran, LV, 19 et 20.) H. M, H. M. H. M. etc. « La chose a été décrétée et le secours est arrivé. Ils ne nous vaincront pas. Elle a été décrétée la révélation du livre (le Coran), par le Dieu puissant, savant, qui pardonne les péchés, qui accueille le repentir, qui châtie fortement, qui dure éternellement. Il n’y a pas d’autre dieu que lui. C’est à lui que l’on a recours. Au nom de Dieu, que notre porte soit bénie, ainsi que nos murailles, Y. S., notre toit. C. H. Y.’A. S., nos moyens d’existence, H. M.’A. S. K. et notre protection. Certes, Dieu te suffira contre eux, il entend et sait tout. » (Coran, II, 131.) « Le voile du firmament est étendu sur nous, et l’œil de Dieu nous regarde. Grâce à la puissance de Dieu, on ne peut rien contre nous. Dieu est derrière eux, qui les entoure. Ce Coran illustre est écrit sur une table gardée avec soin. » (Coran, LXXXV, 20, 21.) « Dieu est le meilleur des gardiens, le plus miséricordieux des miséricordieux. Mon patron est le Dieu qui a révélé le livre ; il choisit pour amis les gens de bien. » (Coran, VII, 195.) « Dieu me suffit. Il n’y a pas d’autre dieu que Dieu. Je mets ma confiance en lui. Il est le maître du trône suprême. Au nom de Dieu, avec le nom duquel rien sur la terre, ni dans les cieux ne saurait souffrir de dommage. C’est lui qui entend et qui sait tout. L’homme a des anges qui se succèdent sans cesse, placés devant lui, derrière lui, et qui le protègent par l’ordre de Dieu. » (Coran, XIII, 12.) « Il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu, l’être grand et sublime par excellence. »
ANECDOTE.
Parmi les événements qui arrivèrent dans la ville d’Alexandrie en l’année 727 (de J. C. 1326-27), et dont nous reçûmes la nouvelle à la Mecque, se trouve le suivant :
Une dispute s’éleva entre les musulmans et les marchands chrétiens. Le gouverneur d’Alexandrie était alors un homme appelé Caraky ; il s’occupa de protéger les Européens, et ordonna aux musulmans de se rendre dans l’espace compris entre les deux avant-murs de la porte de la ville, après quoi il fit fermer sur eux les portes pour les châtier. La population désapprouva cette conduite et la jugea exorbitante, et ayant rompu la porte, elle se précipita tumultueusement vers l’hôtel du gouverneur. Celui-ci se fortifia contre leurs attaques et les combattit du haut du toit. Cependant il expédia des pigeons à Melic nâcir pour l’instruire de cette nouvelle. Le roi fit partir un émir nommé Aldjemâly, et le fit bientôt suivre par un autre émir appelé Thaughân, qui était un homme orgueilleux, impitoyable et d’une piété suspecte ; en effet, on prétendait qu’il adorait le soleil. Les deux émirs entrèrent à Alexandrie, se saisirent de ses principaux habitants et des chefs des marchands, tels que les enfants d’Alcoûbec et autres, auxquels ils extorquèrent des sommes considérables. On plaça un carcan de fer au cou du kadi Imâd eddîn. Quelque temps après, les deux émirs firent périr trente-six des habitants de la ville. Chacun de ces malheureux fut fendu en deux, et leurs corps furent mis en croix sur deux rangs ; cela se passait un vendredi. La population étant sortie, selon sa coutume, après la prière, afin de visiter les tombeaux, vit ce funeste spectacle. Son chagrin fut grand et sa tristesse en redoubla.
Au nombre des crucifiés se trouvait un marchand très considéré, que l’on appelait Ibn Réouâhah. Il avait une salle remplie d’armes, et toutes les fois qu’un danger se présentait ou qu’il survenait quelque lutte, il en tirait de quoi fournir à l’armement de cent ou deux cents hommes. Il y avait des salles de cette espèce chez un grand nombre d’habitants de la ville. La langue d’Ibn Réouàhah le perdit. En effet, il dit aux deux émirs : « Je réponds de cette ville ; toutes les fois qu’il y surviendra quelque trouble, que l’on s’adresse à moi ; j’épargnerai au sultan la solde qu’il lui faudrait donner à la garnison. » Les deux émirs désapprouvèrent ses paroles et lui répondirent : « Tu ne veux autre chose que te révolter contre le sultan. » Ils le firent mettre à mort. Ce malheureux n’avait cependant d’autre but que de montrer sa bonne volonté et son dévouement au sultan. Ce fut précisément ce qui le perdit.
Pendant mon séjour à Alexandrie, j’avais entendu parler du cheikh Abou Abd Allah Almorchidy, homme pieux, adonné aux pratiques de dévotion, menant une vie retirée et disposant de richesses surnaturelles. Il était au nombre des principaux saints et des contemplatifs. Il vivait retiré à Moniah Béni Morchid, dans un ermitage où il demeurait absolument seul, sans serviteur et sans compagnon. Les émirs et les vizirs venaient le trouver, et des troupes de visiteurs, appartenant aux diverses classes de la société, arrivaient chez lui quotidiennement. Il leur servait à manger. Chacun d’eux désirait manger de la viande, ou des fruits ou des pâtisseries. Il servait à chacun ce qu’il voulait, et souvent même des fruits ou des légumes hors de saison. Les fakîhs venaient le trouver pour lui demander des emplois. Il investissait les uns et destituait les autres. Toutes ces nouvelles concernant Almorchidy étaient répandues au loin, et étaient devenues notoires ; et Almélic annâcir lui avait plusieurs fois rendu visite dans sa zaouïa.